La cigarette électronique, ou vape, est un sujet qui polarise et revient régulièrement dans le débat public. Chaque nouvelle étude, chaque nouvelle réglementation ou chaque nouvelle tendance est l’occasion pour les médias, généralistes comme spécialisés, de s’emparer du thème. Malheureusement, cette couverture médiatique s’accompagne souvent d’un cortège de titres prévisibles et de jeux de mots éculés. Loin d’être anecdotique, ce manque de créativité journalistique finit par façonner une image simpliste et parfois trompeuse du vapotage. Il est temps de faire l’inventaire de ces formules toutes faites que l’on ne supporte plus de lire.
L’overdose des jeux de mots vape
Un manque de créativité flagrant
Lorsqu’un sujet technique comme la vape est abordé par la presse grand public, la tentation de la facilité lexicale est grande. Plutôt que d’expliquer les enjeux sanitaires, technologiques ou économiques, de nombreux rédacteurs optent pour des raccourcis sémantiques. Le jeu de mots devient alors une béquille pour attirer l’œil du lecteur sans avoir à fournir un effort de titraille original. Cette paresse intellectuelle conduit à une uniformisation des titres, où les mêmes trois ou quatre formules reviennent en boucle, quel que soit l’angle de l’article.
L’impact sur la perception publique
Cette répétition n’est pas sans conséquence. En utilisant systématiquement des jeux de mots, les médias contribuent à banaliser, voire à ridiculiser, un sujet qui est avant tout une question de santé publique. La vape est un outil de réduction des risques pour des millions de fumeurs. La réduire à une série de calembours empêche un débat sérieux et nuancé sur ses bénéfices et ses risques. Le lecteur non averti retient une image frivole, celle d’un gadget ou d’une mode passagère, plutôt que celle d’une alternative complexe au tabagisme.
Parmi toutes les formules usées jusqu’à la corde, celles qui font référence à l’univers du tabac sont sans doute les plus répandues, créant un lien paradoxal avec ce que la vape cherche précisément à remplacer.
Les clichés du tabac
Le jeu de mots le plus éculé : « faire un tabac »
C’est le grand classique, le titre que tout vapoteur a lu des dizaines de fois. Qu’il s’agisse de commenter le succès d’une nouvelle puff, la popularité d’un arôme ou la croissance d’une marque, l’expression « fait un tabac » est partout. Elle repose sur une opposition si évidente qu’elle en devient paresseuse : associer le succès d’un produit de la vape au mot « tabac », son ennemi juré. On le voit décliné à l’infini : « La cigarette électronique jetable fait un tabac chez les jeunes » ou encore « Ce nouvel e-liquide fait un tabac ».
Une opposition réductrice
Ce cliché constant maintient la vape dans l’ombre de la cigarette traditionnelle. Il la définit non pas pour ce qu’elle est, mais uniquement par rapport à ce qu’elle n’est pas. Cette vision binaire empêche d’aborder la culture propre au vapotage, ses innovations technologiques ou ses aspects sociaux. La vape devient un simple produit de substitution, privé de son identité. Voici une liste non exhaustive de titres réellement observés ou facilement imaginables :
- La nouvelle e-cigarette qui fait un tabac en France
- Arômes fruités : un succès qui fait un tabac auprès des adolescents
- Le marché de la vape ne connaît pas le tabac
Pourtant, le champ lexical du tabac n’est pas le seul à être surexploité. Un autre univers sémantique, tout aussi prévisible, est celui de la vapeur elle-même.
Des titres à toute vapeur : stop
La métaphore de la vitesse et de la puissance
Après l’univers du tabac, vient celui de la vapeur. L’expression « à toute vapeur » est fréquemment utilisée pour décrire la croissance rapide du marché de la vape ou le succès fulgurant d’une entreprise. La métaphore renvoie à l’imaginaire de la révolution industrielle, du train à vapeur, suggérant une force irrépressible et une progression rapide. C’est un moyen simple d’illustrer une dynamique économique positive sans entrer dans les détails.
Une image souvent trompeuse
Si le marché de la vape a connu une croissance impressionnante, cette image d’une avancée « à toute vapeur » est simpliste. Elle occulte les nombreuses difficultés du secteur : les batailles réglementaires, les débats sur la taxation, la méfiance d’une partie du corps médical et les défis liés à la perception publique. Présenter cette industrie comme une locomotive incontrôlable dessert un traitement journalistique équilibré. Les chiffres, bien que positifs, montrent une réalité plus complexe que ce que le cliché suggère.
Le tableau de la croissance
Pour illustrer la dynamique que ces titres tentent de capturer de manière maladroite, un tableau de chiffres (même fictifs) est souvent plus parlant.
| Année | Chiffre d’affaires estimé (France) | Croissance annuelle |
|---|---|---|
| An-3 | 800 millions € | +15% |
| An-2 | 950 millions € | +18% |
| An-1 | 1,1 milliard € | +16% |
Si la vapeur évoque la puissance et la vitesse, une autre image, plus éthérée et tout aussi facile, est également convoquée par les rédacteurs en manque d’inspiration : celle du nuage.
Sur un nuage… de littérature facile
Une expression à double sens
Le jeu de mots « sur un nuage » est un peu plus subtil mais tout aussi répandu. Il joue sur la double signification de l’expression : d’une part, l’état de bonheur et de légèreté (« être sur son petit nuage »), et d’autre part, la référence littérale aux nuages de vapeur produits par la cigarette électronique. Ce titre est souvent utilisé pour parler d’une marque qui connaît un grand succès ou pour décrire, de manière un peu condescendante, l’expérience des vapoteurs.
Une connotation infantilisante
Utiliser cette expression pour qualifier les vapoteurs ou le secteur peut avoir une connotation infantilisante. Elle suggère que les utilisateurs sont des rêveurs déconnectés de la réalité, flottant dans leurs nuages parfumés. Cela ignore complètement la démarche souvent pragmatique et réfléchie qui conduit un fumeur à se tourner vers la vape : une décision consciente pour préserver sa santé. Le cliché du « nuage » efface la dimension rationnelle de cet acte.
Au-delà des titres de presse, la banalisation du vocabulaire de la vape s’infiltre aussi dans les conversations quotidiennes, avec son lot d’expressions toutes faites qui peuvent rapidement devenir agaçantes.
Les expressions à bannir dans le monde de la vape
Le « Salut, ça vape ? » et ses dérivés
Cette catégorie ne concerne pas les journalistes, mais plutôt les tics de langage entendus au quotidien. Des expressions comme « Salut, ça vape ? », « Comment ça vape ? » ou le fameux « Bonne vape ! » de fin de conversation sont devenues des clichés de la communauté. Si elles partent souvent d’une bonne intention, leur caractère forcé et répétitif finit par lasser de nombreux vapoteurs. Elles donnent l’impression que le vapotage est une identité avant d’être une pratique.
Pourquoi ces expressions agacent-elles ?
L’agacement provoqué par ces formules s’explique par plusieurs raisons. Elles sont perçues comme :
- Réductrices : elles ramènent l’identité d’une personne à sa seule condition de vapoteur.
- Artificielles : elles sonnent faux et manquent de naturel, comme une tentative maladroite de créer un jargon communautaire.
- Parfois moqueuses : lorsqu’elles sont employées par des non-vapoteurs, elles peuvent être teintées d’une légère ironie.
Ces tics de langage, tout comme les titres de presse analysés précédemment, participent à une saturation générale. Ils sont le symptôme d’un phénomène plus large : la redondance épuisante des jeux de mots.
Des jeux de mots redondants et lassants
Le cercle vicieux de la facilité
La persistance de ces clichés s’explique par un cercle vicieux. Un titre accrocheur et facile génère des clics, ce qui incite d’autres médias à l’imiter. Le jeu de mots devient une sorte de norme, un code implicite pour parler de la vape. Le résultat est un appauvrissement général du discours médiatique, où l’originalité et la précision sont sacrifiées sur l’autel de l’efficacité immédiate. Chaque nouvel article semble être une redite du précédent, au moins dans sa forme.
Vers un traitement médiatique plus mature
Il est urgent que le traitement médiatique de la vape gagne en maturité. Cela passe par l’abandon de ces jeux de mots usés et par l’adoption d’un vocabulaire plus précis et informatif. Aborder la vape avec le sérieux qu’elle mérite, c’est respecter à la fois les lecteurs qui cherchent une information de qualité et les millions d’utilisateurs qui ne se reconnaissent pas dans cette caricature. Le sujet est suffisamment complexe et important pour se passer de calembours.
En définitive, la surutilisation des mêmes jeux de mots par les médias, de « faire un tabac » à « croissance à toute vapeur », dessert le débat public sur la cigarette électronique. Ces formules réductrices, couplées à des expressions communautaires parfois lassantes, contribuent à forger une image simpliste et souvent infantilisante du vapotage. Un traitement journalistique plus rigoureux et créatif est nécessaire pour refléter la complexité des enjeux sanitaires, sociaux et économiques liés à cette alternative au tabagisme.
